Absence d’urgence à suspendre un arrêté refusant un permis de construire relatif à l’implantation d’antennes-relais

Le 3 juin 2025, par une ordonnance, le tribunal administratif d’Amiens (Req. n°2501353) a refusé de suspendre un arrêté d’un maire s’opposant à la délivrance d’un permis de construire pour l’implantation d’un pylône supportant des antennes-relais. Le juge des référés a estimé que la couverture locale en 4G, 4G+ et 5G était suffisante et que les engagements des opérateurs envers l’État étaient respectés, ce qui l’a conduit à écarter la condition d’urgence exigée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative.
L’ordonnance commentée illustre que le juge des référés peut, selon la situation concrète d’un territoire et les données disponibles, écarter la condition d’urgence dans le cadre d’un référé-suspension contre un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable de travaux visant l’installation d’antennes-relais.
Un cadre jurisprudentiel favorable à l’installation d’antennes-relais
L’on rappellera que, dans la pratique, lorsque le juge administratif est saisi d’un référé-suspension contre un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable de travaux visant l’installation d’antennes-relais, la condition d’urgence est quasi-systématiquement retenue. Le Conseil d’État considère en effet que l’intérêt public attaché à la couverture du territoire par les réseaux mobiles et les engagements pris par les opérateurs auprès de l’État justifient cette urgence (voir notamment : CE, 22 août 2002, Société française du radiotéléphone, req. n° 245625 ; CE, 13 novembre 2002, Société française du radiotéléphone, req. n° 244773).
Sans qu’il s’agisse d’une véritable présomption, comme l’a rappelé une rapporteure publique (conclusions sur CE, 24 février 2022, Société Hivory, req. n°454047), cette appréciation quasi-automatique de l’urgence rend très difficile la tâche des maires (et des voisins) qui souhaitent s’opposer à un projet d’antenne-relais.
Si ces derniers tentent fréquemment de démontrer l’absence d’intérêt public en s’appuyant sur des données publiques, notamment celles de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-après, l’ « ARCEP »), la portée qui leur est conférée varie toutefois selon les juridictions, comme en témoignent les décisions divergentes du tribunal administratif de Marseille (TA Marseille, 27 mars 2025, req. n° 2501930) et du tribunal administratif de Lille (TA Lille, 21 janvier 2025, req. n° 2412984).
Il reste toutefois très rare que le juge des référés relève l’absence d’urgence à suspendre un refus de permis de construire ou une opposition à déclaration préalable de travaux visant l’installation d’antennes-relais (voir pour un exemple en ce sens : TA Lille, 21 janvier 2025, req. n° 2412984).
Une appréciation d’espèce concrète de la condition d’urgence par le juge des référés
L’ordonnance du tribunal administratif d’Amiens est particulièrement intéressante car elle se distingue de la jurisprudence administrative traditionnelle par la manière dont le juge des référés apprécie la condition d’urgence.
Ce dernier s’appuie sur un faisceau d’indices concrets pour écarter l’intérêt public attaché à la couverture du territoire par les réseaux mobiles, en mobilisant notamment la carte de couverture de l’opérateur concerné ainsi que les données de l’ARCEP afin d’évaluer la réalité de la couverture 5G, mais aussi 4G et 4G+ dans la zone du projet d’implantation des antennes-relais litigieuses.
De plus, en se fondant sur les données de l’Agence nationale des fréquences (ci-après, l’ « ANFR »), il constate que les objectifs de couverture assignés par l’État pour 2025 sont d’ores et déjà atteints (10 500 sites), en tenant compte des 11 618 sites ayant reçu une autorisation d’urbanisme et susceptibles d’être prochainement exploités (et non des seuls sites exploités à la date de la décision, soit 7 005 sites). Cette prise en compte élargie des sites autorisés, et non plus seulement des sites en service pour identifier le respect des objectifs de couverture assignés par l’Etat aux opérateurs de télécommunications, est inédite et conforte la démonstration d’une couverture suffisante du territoire.
Par cette appréciation concrète, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens rappelle, dans le prolongement de certaines décisions très minoritaires (voir par exemple TA Lille, 21 janvier 2025, req. n° 2412984), que l’urgence ne saurait être systématiquement caractérisée pour les opérateurs de télécommunication contestant un refus d’autorisation d’installation d’antennes-relais. Il appartient donc aux parties qui souhaitent s’opposer à un projet d’antenne-relais de démontrer objectivement et concrètement si les besoins du territoire sont déjà satisfaits, en mobilisant non seulement les données de l’opérateur et de l’ARCEP, mais également celles de l’ANFR, qui identifient les objectifs de couverture assignés par l’État au regard des autorisations d’urbanisme susceptibles d’être prochainement exploitées.
Une décision rare, mais révélatrice d’une possible limite à l’extension des antennes 5G
Il convient de souligner que cette ordonnance du tribunal administratif d’Amiens demeure une décision isolée dans le paysage jurisprudentiel, la majorité des juridictions continuant, en cas de contestation d’un refus d’installation d’antennes-relais, de retenir l’urgence au bénéfice des opérateurs dès lors que l’intérêt public lié à la couverture numérique est invoqué.
Néanmoins, cette décision laisse entrevoir la possibilité de s’opposer à cette caractérisation quasi-systématique de l’urgence, dès lors que les engagements des opérateurs envers l’État sont respectés et que la couverture du territoire par les réseaux mobiles concernés est objectivement démontrée au moyen des données de l’opérateur, de l’ARCEP et de l’ANFR.