Engagement de la responsabilité de l’Etat pour faute simple du fait des dommages subis par des propriétés voisines des cours d’eaux non domaniaux

La responsabilité de l’Etat peut être engagée pour faute simple du fait des dommages subis par des propriétés voisines des cours d’eaux non domaniaux compte tenu de ses pouvoirs de police spéciale de la conservation de ces cours d’eau.
Dans un arrêt rendu le 22 juillet 2020, le Conseil d’Etat est venu rappeler que, malgré le principe posé à l’article L. 215-14 du Code de l’environnement qui prévoit « l’entretien des cours d’eau non domaniaux par les propriétaires riverains », la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être engagée. Elle peut l’être pour faute simple lorsque des propriétés voisines des cours d’eau non domaniaux ont été endommagées par l’action naturelle des eaux, du fait des carences commises par le préfet dans l’exercice de sa mission de police spéciale de la conservation des cours d’eaux non domaniaux qui, sur le fondement de l’article L. 215-7 du même code, doit « prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ».
Il est ainsi venu préciser les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat s’agissant des cours d’eau non domaniaux.
En raison de la multiplicité des acteurs susceptibles d’intervenir sur ces cours d’eau, il n’est pas toujours aisé pour les propriétaires sinistrés d’identifier, d’une part, l’autorité responsable du dommage et d’autre part, le fondement juridique sur lequel intenter une action en réparation.
La présente analyse sera donc l’occasion, au-delà de l’espèce de la décision commentée, de préciser les différentes responsabilités des intervenants sur ces cours d’eaux.
I – Des cours d’eaux non domaniaux à la confluence de plusieurs responsabilités
Il existe, concernant les cours d’eau non domaniaux, une responsabilité qui relève en principe des propriétaires privés.
En effet, et comme le rappelle le Conseil d’Etat dans la décision commentée, en vertu des articles L. 215-2 et L. 215-14 du Code de l’environnement dans leur rédaction issue de la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006, sur l’eau et les milieux aquatiques, le lit des cours d’eaux non domaniaux appartient aux riverains qui doivent alors l’entretenir régulièrement afin de « maintenir le cours d’eau dans son profil d’équilibre, de permettre l’écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique (…) ».
Ce dispositif juridique a pour objectif de faire en sorte que les propriétaires de ces cours d’eaux s’assurent qu’il n’existe aucune menace pour un fonds aval du fait d’un défaut d’entretien.
Toutefois, et dans la mesure où un tel objectif relève également de l’intérêt général, plusieurs personnes publiques sont également susceptibles d’intervenir concernant leur entretien.
En premier lieu, tel est le cas de l’Etat par le biais du préfet, au titre de la police spéciale de la conservation des cours d’eau non domaniaux.
L’article L. 215-7 du Code de l’environnement prévoit ainsi que l’autorité administrative est chargée de « la conservation et de la police des cours d’eau non domaniaux. Elle prend toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ».
Le préfet peut à cet égard fixer le régime général de ces cours d’eaux (C. env., art. L. 215-8), et prendre « toutes mesures nécessaires pour la police » de ces cours d’eau, telles que des injonctions de travaux (C. env., art. L. 215-12).
En second lieu, les collectivités territoriales et leurs groupements sont également susceptibles d’intervenir concernant l’entretien de ces cours d’eau.
Il est, en ce sens, admis que le maire intervienne sur ces cours d’eau au titre de son pouvoir de police générale pour prévenir les dommages résultant de ces cours d’eaux (CE, 14 mai 2008, n° 291440).
En outre, les collectivités territoriales et leurs groupements sont habilités, en vertu de l’article L. 211-7 du Code de l’environnement qui renvoie aux articles L. 151-36 à L. 151-40 du Code rural et de la pêche maritime, à « entreprendre l’étude, l’exécution et l’exploitation de tous travaux, actions, ouvrages ou installations présentant un caractère d’intérêt général ou d’urgence, dans le cadre du schéma d’aménagement et de gestion des eaux s’il existe, et visant : (…) 2° L’entretien et l’aménagement d’un cours d’eau, canal, lac ou plan d’eau, y compris les accès à ce cours d’eau, à ce canal, à ce lac ou à ce plan d’eau ».
L’on précisera que depuis le 1er janvier 2018, du fait de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (loi « MAPTAM ») et de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015, portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi « NOTRe »), l’exercice de cette compétence liée à la gestion des milieux aquatiques et à la prévention des inondations (GEMAPI) est désormais confié à titre obligatoire aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
Ainsi que le relevait une réponse parlementaire « cette compétence ne supprime » toutefois pas « la disposition légale qui impose aux riverains des cours d’eau non domaniaux l’entretien régulier de ceux-ci ». En effet, « cette compétence ne sera exercée par les communes ou EPCI éventuellement regroupés, que si cette prise en charge publique est jugée nécessaire, notamment en cas de carence des riverains ou d’intérêt à une action étudiée et organisée à l’échelle d’un cours d’eau ou d’une section hydrographiquement cohérente de cours d’eau. Une déclaration d’intérêt général pour justifier l’intervention sur des terrains privés demeure d’ailleurs indispensable » (QE n° 45987 M. Guillaume Chevrollier, JOANQ, 17 décembre 2013, réponse publ. 17 juin 2014, p. 4992, 14ème législature).
II – Les différents fondements juridiques pour intenter des actions en responsabilité contre les intervenants sur les cours d’eaux non domaniaux
Une fois ce cadre particulier défini, la question se pose inévitablement des responsabilités de chacun en cas de dommage.
Dans sa décision de principe « Syndicat intercommunal de l’Huveaune et autre » du 2 mars 1984, le Conseil d’Etat avait rappelé, en formation de section, que la protection des propriétés voisines des cours d’eaux non domaniaux relève du propriétaire riverain (CE, 2 mars 1984, n° 35524, 35874).
La défense de ces propriétés n’incombe donc pas, par principe, aux pouvoirs publics qui « n’ont pas l’obligation d’assurer la protection des propriétés voisines des cours d’eau navigables ou non navigables contre l’action naturelle des eaux ».
Il admettait cependant, nonobstant « l’absence de dispositions législatives ou réglementaires les y contraignant », l’existence possible d’une responsabilité de l’Etat et des communes.
Le Conseil d’Etat avait ainsi jugé que la responsabilité de ces autorités pouvait être engagée sur deux fondements différents : « soit par l’existence ou le mauvais état d’entretien d’ouvrages publics, soit par une faute commise par l’autorité administrative dans l’exercice de la mission qui lui incombe, en vertu des articles 103 et suivants du Code rural, d’exercer la police des cours d’eau non domaniaux et de prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux ».
Il s’agit donc pour les éventuels sinistrés des cours d’eaux non domaniaux de rechercher, le cas échéant, la responsabilité des pouvoirs publics soit pour un défaut d’entretien d’ouvrages publics, soit pour une carence dans l’exercice de leurs missions de police spéciale des cours d’eau non domaniaux.
A l’occasion de cette décision, le régime de responsabilité de l’Etat avait évolué d’un régime de responsabilité pour faute lourde (Voir auparavant, CE, 29 juillet 1983, n° 34634) à un régime de responsabilité pour faute simple – même si une incertitude pouvait persister sur ce point.
Le Conseil d’Etat avait, par la suite, également exclu que la responsabilité d’un syndicat intercommunal qui avait à l’origine pour « seul objet l’exécution de travaux de défense contre les inondations et l’entretien du lit de la rivière » puisse être engagée du fait de son inaction. En effet, s’il peut prendre en charge certains travaux, il n’y est pas obligé puisque la police de la conservation des cours d’eaux non domaniaux relève de l’Etat (CE, 1er juillet 1987, n° 24048 (N° Lexbase : A5396APK) : « Considérant en troisième lieu que si le syndicat
intercommunal de l’Huveaune, qui avait à l’origine pour seul objet l’exécution de travaux de défense contre les inondations et l’entretien du lit de la rivière, a étendu son objet en 1967 au ‘nettoyage de la rivière aux points les plus sensibles’ et à la surveillance des berges, cette décision n’a pas eu pour effet de transférer à cet établissement public la compétence en
matière de police des eaux et notamment du curage de ce cours d’eau non domanial, compétence qui appartient
exclusivement, en vertu du code rural, au préfet agissant au nom de l’Etat ; qu’il n’est pas allégué que les travaux publics qu’il a pu effectuer, dans le cadre de son objet statutaire et dans la limite de ses possibilités financières, aient aggravé les dommages subis par M. X… ; qu’il suit de là que ledit syndicat est fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille a mis à sa charge 10 % desdits dommages ».).
Pour autant, et ainsi que le relevait le rapporteur public sur l’affaire « Syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu et autre » du 13 mars 2019, dans la mesure où certaines collectivités territoriales et leurs groupements utilisent les facultés qui leur sont désormais offertes par la loi d’intervenir sur les cours d’eaux, leur responsabilité doit pouvoir être engagée sur un autre fondement : « la carence ou la mauvaise exécution par une personne publique, généralement un syndicat intercommunal, d’une mission d’entretien du cours d’eau qu’elle a pris en charge » (CE, 18 décembre 1989, n° 86297 et CE 13 mars 2019, n° 406867, 406985).
III – L’affirmation de la seule responsabilité de l’Etat et pour faute simple en cas de carence dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale des cours d’eaux non domaniaux
Dans le cas d’espèce, le Conseil d’Etat est venu confirmer que, malgré le principe posé à l’article L. 215-14 du Code de l’environnement qui prévoit le principe de « l’entretien des cours d’eau non domaniaux par les propriétaires riverains », la responsabilité de l’Etat demeure susceptible d’être engagée lorsque des propriétés voisines des cours d’eau non domaniaux ont été endommagées du fait de l’action naturelle des eaux. Elle peut l’être en raison des fautes commises par le préfet dans l’exercice de son pouvoir de police spéciale de ces cours d’eaux qui, sur le fondement de l’article L. 215-7 du Code de l’environnement, doit « prendre toutes dispositions pour assurer le libre cours des eaux » :
« en cas de dommages causés aux propriétés voisines des cours d’eau non domaniaux du fait de l’action naturelle des eaux, sans préjudice de la responsabilité qu’il peut encourir lorsque ces dommages ont été provoqués ou aggravés par l’existence ou le mauvais état d’entretien d’ouvrages publics lui appartenant, la responsabilité de l’Etat peut être engagée par une faute commise par le préfet dans l’exercice de la mission qui lui incombe, en vertu de l’article L. 215-7 du Code de l’environnement, d’exercer la police des cours d’eau non domaniaux et de prendre toutes les dispositions pour y assurer le libre cours des eaux ».
Cette décision est, en outre, l’occasion de rappeler que seule la responsabilité de l’Etat peut être recherchée pour une carence fautive commise par le préfet dans l’exercice des pouvoirs de police qu’il tient de l’article L. 215-17 du Code de l’environnement qui impliquent qu’il assure le libre cours des eaux (L’on précisera que cette responsabilité est indépendante de celle qu’il pourrait encourir lorsque les dommages ont été provoqués ou aggravés par l’existence ou le mauvais entretien d’ouvrages publics lui appartenant.).
La responsabilité du maire qui peut intervenir en soutien du préfet (C. env., art. L. 215-12) est donc, dans ce cadre, exclue.
Il convient par ailleurs de relever que cette décision induit – sans pour autant que les termes du considérant numéro 4 ne permettent totalement de trancher en ce sens – que l’intervention sur les cours d’eaux qui incombe aux communes, groupements ou syndicats au titre de la GEMAPI, dans la mesure où elle est purement facultative (à l’inverse de celle du préfet), n’est pas susceptible d’emporter leur responsabilité contrairement à ce que relevait le rapporteur public sur l’affaire précitée Syndicat intercommunal pour l’aménagement hydraulique du bassin de la Berre et du Rieu et autre.
Enfin, la décision commentée permet de lever tout éventuelle ambiguïté sur l’application d’un régime de faute simple pour engager la responsabilité de l’Etat en la matière.
En effet, si la Haute juridiction y reprend le considérant de principe de l’affaire Syndicat intercommunal de l’Huveaune et autre, elle censure l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy pour erreur de droit, qui avait considéré qu’il appartenait au requérant de rechercher une faute lourde du préfet « en n’usant pas des pouvoirs généraux de substitution qu’il tient des dispositions de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, à la suite du renoncement, par la collectivité territoriale compétente, d’utiliser elle-même la faculté de substitution aux obligations du propriétaire riverain qu’elle tient des dispositions de l’article L. 215-16 du Code de l’environnement ».
L’affaire est par conséquent renvoyée à la cour administrative d’appel de Nancy pour qu’elle tranche sur la responsabilité de l’Etat.